Art ou bazar ?

Dans La chambre d’Adèle, la petite fille s’exclame à la dernière page du livre : « Mais maman, c’est de l’art ! », pour répondre au mécontentement de sa maman fatiguée du bazar qu’elle met dans sa chambre. Adèle a repris cette phrase de ses parents qui tentaient un peu plus tôt de lui montrer la beauté d’une toile abstraite au musée.
Du bazar, l’art abstrait ?
Si l’album La chambre d’Adèle est d’abord une ode à la liberté de jouer, d’inventer et d’imaginer, il est aussi une ouverture à l’art et notamment à l’art abstrait.
Ce clin d’œil au musée proposé par l’histoire a fait l’objet d’une création d’atelier en partenariat avec l’Alliance française de Toronto. Ainsi, je vous offre cette fiche d’activité Art ou bazar ? En avant l’art abstrait avec Adèle ! J’espère que cela vous permettra de changer votre point de vue sur le monde de l’abstraction qui met bien souvent les adultes au défi quand il s’agit de l’expliquer aux enfants. J’espère qu’il vous incitera à regarder différemment les œuvres de ces artistes, faites de lignes, de taches, de dégoulinures parfois, de trouées blanches, de couleurs ou de formes qui ne représentent ni maison ni arbre ni personnage. Et surtout que vous saurez donner l’envie aux plus jeunes de libérer leur geste et leur imaginaire afin de créer à leur tour LEUR œuvre abstraite.

L’art abstrait existe-t-il vraiment d’ailleurs ? Jean Paul Riopelle prétendait que non (cf. Riopelle l’artiste magicien ). Et quand on parle d’art abstrait, où commence-t-il, ou s’arrête-t-il ? Petite histoire en quelques lignes…
La naissance de l’art abstrait (d’un point de vue historique) prend sa source fin 19e siècle-début 20e. L’expérience impressionniste est l’aboutissement de tout ce que les lois de la perspective ont permis depuis la Renaissance : transcrire en peinture le monde réel allant jusqu’à nous faire sentir la vibration des feuilles, le jeu de l’ombre et de la lumière, le murmure des gens au bal du moulin de la galette.
Déjà Paul Cézanne disait : « Il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône », ouvrant ainsi la voie à une peinture où domine la forme.
Puis Maurice Denis (peintre nabis) ajoutait : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »
Ajoutez à cela la pensée de Vassily Kandinsky, ce peintre qui vit un jour l’une de ses toiles posée au sol à l’envers et se dit : « Mais, cela n’a pas de sens ! », réalisant au fond que ce qu’il avait représenté comptait moins que les formes, les lumières, les couleurs qui agençaient sa toile.
À partir du moment où les artistes ne se réfèrent plus aux lois de la perspective, ils cherchent d’autres chemins pour représenter le monde : les lignes (cubisme), les couleurs (fauvisme), la vitesse (futuristes…), les rêves ou les fantasmes (surréalisme). Des voies ouvertes à l’infini.
Ainsi, les couleurs, les formes, les lignes, les outils, les supports, tous ces éléments à la portée des artistes servent désormais à exprimer leurs émotions, leurs idées, leurs impressions. L’art abstrait peut ainsi prendre une multitude de formes. Quelques exemples :
Certains artistes abstraits, se rappelant des impressionnistes iront vers les harmonies de couleurs (Jean Paul Riopelle, Joan Mitchell, Marcelle Ferron), mais avec d’autres outils. Certains travailleront les lignes de forces (Mondrian, Molinari), d’autres encore expérimenteront le hasard comme Pollock et ses drippings. Que l’abstraction soit lyrique ou géométrique, elle est multiple et libre. Ce qui fera la différence entre les artistes sera leur utilisation de l’espace, les outils, les medium, le geste…et la pensée.
En montrant aux jeunes enfants différents types d’œuvres abstraites, on les amène à découvrir des représentations moins conventionnelles mais surtout, qui font appel à leur propre imaginaire.
Si notre œil regarde et analyse une œuvre figurative pour y détecter des fruits, une table, un chien…, je serai d’avantage porter à dire qu’au contraire, l’œuvre abstraite nous regarde. Elle nous parle et fait écho à nos propres émotions. Soyez ouvert.e.s à écouter ce qu’elle peut vous dire et SURTOUT, faites confiance à votre regard car le regard est une errance, un voyage dans l’œuvre. Et pour cela, il faut du temps.
Dans mes ateliers lorsque je raconte aux élèves que « j’attends que le tableau me parle », ils ont tendance à me prendre pour une folle, mais au bout d’un certain temps d’observation, ils voient finalement des centaines d’histoires en puissance dans cette peinture. Et puis, ils prennent conscience de l’importance du temps. Telle zone de couleur fait écho à un souvenir, telle forme rappelle un lieu que vous aimez…L’abstraction force plus profondément notre imaginaire et fait jaillir des idées parfois surprenantes.

L’atelier Art ou bazar ? En avant l’art abstrait avec Adèle ! invite les enfants à libérer le geste (rapide, lent, court, long, dynamique, saccadé…), expérimenter des médiums (pastel, acrylique, aquarelle, feutre, collage, fusain,…) et des outils (éponges, brosses, spatules, doigts, projections, surfaces diverses…). Ces expériences les amènent à prendre toute la mesure de leur création qui est unique, que cela ne consiste pas à « copier quelque chose qui existe ». C’est leur esprit qui guide leur geste.
Je remarque que bien souvent les jeunes ont besoin de modèles pour se rassurer. Ils veulent « bien » répondre à la question, coller la bonne étiquette. Cet atelier les oblige à plus d’affirmation d’eux-mêmes, à faire des choix intérieurs en toute liberté. Je crois qu’ils en ont grandement besoin et nous avons intérêt à leur donner confiance en leur capacité de créer.
Faire une œuvre abstraite demande justement de s’abstraire du réel pour se laisser guider autrement qu’en répondant à des modèles.
Pastel gras, inspiré de Marcelle Ferron- prématernelle Pastel inspiré de René Derouin-
classe 5e annéeAbstraction libre d’Olivier, 6 ans, « Le grand caillou » œuvre inspirée par les pastels de Jean Paul Riopelle Acrylique au couteau inspirée de Marcelle Ferron-Classe de maternelle Travail sur papier craft – Louise, 3 ans
Voici un rappel des histoires inspirées d’œuvres abstraites, une autre façon d’aborder cette forme artistique qui répond à l’errance que l’on expériment devant une œuvre, c’est à dire s’y perdre, y voyager :
- Le petit canoë, inspiré d’une gouache de Paul-Émile Borduas, peintre qui a ouvert la voix de la modernité au Québec et qui est à l’origine du Refus Global
- Les collines du fantôme, inspiré d’une toile de Marcelle Ferron, autre personnalité marquante de l’abstraction québécoise
- Dans le gris, inspiré de l’œuvre éponyme de Kandinsky, artiste russe très important à l’origine de l’abstraction.
- La fête de Chapultepec, inspiré du triptyque « la tercera parte de Chapultepec » de l’artiste québécois René Derouin dont on sent l’inspiration mexicaine.
- Riopelle l’artiste magicien, livre découverte de l’artiste.
Retrouvez-les dans mon blogue à cette page : http://www.artstramgram.org/decouvrir-mes-livres/
Art ou Bazar ? En avant l'art abstrait avec Adèle : découvrir l'atelier
Un grand merci encore à l’Alliance française de Toronto qui m’a permis de créer cet atelier autour de La chambre d’Adèle, en janvier dernier.
Commentaires
1 commentaire
Bonjour Marie, C’est vraiment intéressant ton approche en parallèle avec des maîtres et de voir les réalisations avec le style d’un peintre comme tableau initiateur c’est fascinant.
J’imagine les découvertes de petites oeuvres sans compter le développement ou la stimulation chez les enfants
Merci
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